Un Christ couronné d'épines par Hyacinthe Rigaud
Catalogue concerné : II. Catalogue des peintures autres que portraits / Peintures d'attribution certaine
Catégorie : Histoire religieuse
Nature de la mise à jour : création de notice
Numéro supplémentaire au catalogue : NPS.1
Fig. 1 : Hyacinthe Rigaud, Christ couronné d'épines, vers 1695-1700, localisation actuelle inconnue
(c) Tajan
NOUVELLE NOTICE
NPS.1 Christ couronné d'épines
Ht. H. 0,595 ; L. 0,485 m.
Loc. inc.
Hist. : peint vers 1695-1700 ; vente Paris, Tajan, 17 octobre 2016, lot 23, non repr. dans le catalogue, mais repr. sur le site de la maison de ventes (Dans le goût d'Annibal Carrache, Le Christ de douleur) ; vendu.
Analogies : voir Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), tome II : Le catalogue raisonné, Dijon, Editions Faton, 2016, n° NP.4, p. 575 et NP.5, p. 575-576.
Le 17 octobre 2016, la maison de ventes Tajan proposait une figure de Christ couronné d'épines que nous n'avons pu malheureusement inclure dans notre ouvrage, celui-ci étant parti à l'impression au début du mois de septembre 2016. Notre analyse se fonde sur une photographie de qualité, mais mériterait d'être étayée par un examen de visu de l'oeuvre dont nous ne connaissons pas l'acquéreur.
On sait que Rigaud nourrit tout au long de sa carrière l'ambition constante d'être considéré aussi bien pour ses portraits que pour ses essais dans la peinture d'histoire, ce qui explique son opiniâtreté à être reçu par l'Académie royale de peinture et de sculpture dans les deux genres en 1700 [1]. A la fable et aux amours des dieux, il préféra, et de loin, le Nouveau Testament, donnant à la figure du Christ et aux principaux épisodes de sa vie [2] une sorte de prééminence dans sa production : Adoration des bergers, Présentation au Temple, Crucifixion, Salvator mundi. Comme nous avons déjà eu l'occasion de le montrer [3], l'influence de grands aînés tels que Rubens, Van Dyck, Pieter Van Mol, mais aussi Guido Reni, y est particulièrement sensible.
Le Christ couronné d'épines n'échappe pas à la règle. La position des bras, à la musculature toute en tension, permet de mettre en relation notre toile avec les deux Crucifixions réalisées en 1695 [4, Fig. 2] et en 1696 [5, Fig. 3] durant le séjour de Rigaud en Roussillon et qui se ressentent beaucoup de la leçon de Van Dyck, ne serait-ce que par l'abandon de la présentation frontale de la croix, héritée de la tradition française, au profit de son décentrage en biais, à l'effet dramatique [6]. Torse et bras paraissent moins athlétiques que dans les deux toiles de Perpignan où le canon répond davantage aux règles de l'enseignement académique d'après l'antique. On y retrouve cependant tous les éléments distinctifs de l'écriture rigaldienne : goût pour une peinture lisse que viennent ponctuer sur le torse, dans le cou ou au creux d'une aisselle, les triturations du pinceau qui distille en pleine pâte des accents de lumière ; subtilité et douceur des carnations où les roses s'ombrent d'un gris délicat ; expressivité du regard qu'un jet de blanc enfièvre.
Fig. 2 : Hyacinthe Rigaud, Christ en croix, 1695, Perpignan, musée Rigaud, inv. 893.2.1.
(c) Pascale Marchesan
Fig. 3 : Hyacinthe Rigaud, Christ en croix, 1696, Perpignan, musée Rigaud, inv. 833.12.1.
(c) Pascale Marchesan
Les petites différences du Christ de Tajan avec les deux Crucifixions de 1695-1696, auxquelles s'ajoutent son format réduit et l'aspect rapide du rendu de certaines parties comme les cheveux et la couronne d'épines pourraient suggérer que nous sommes en présence d'une étude préparatoire, antérieure à 1695. Mais rien n'est moins sûr.
Tout d'abord parce que les sources anciennes mentionnent bien d'autres "crucifiements" de Rigaud, avec lesquels notre toile pourrait être tout aussi judicieusement mise en relation : celui, par exemple, que son filleul, Hyacinthe Collin de Vermont, déclare en 1744 avoir "entre les mains" et sur lequel, toujours selon lui, son parrain aurait été "reçu comme historien [à l'Académie], quoiqu'il ne soit qu'à moitié composé" [7] ; ou cet autre, à l'état d'ébauche et mesurant 23 pouces de haut sur 30 pouces de large [H. 0,62 ; L. 0,81 env.], "plein de caractère et d'expression", ayant appartenu au graveur Claude Drevet [8], tandis que le qualificatif d'Ecce Homo conféré à un tableau de Rigaud de mêmes dimensions (H. 0,62 ; L. 0,81 env.) mentionné en 1790 dans l'église des Jacobins de la rue Saint-Honoré à Paris [9] ne l'exclut pas à priori des références éventuelles, puisque la toile de Tajan représente un Christ souffrant, ceint de la couronne d'épines.
Enfin, parce qu'il est possible que Rigaud ait voulu faire de ce Christ, une fois achevé, l'une de ces figures de dévotion, isolées et autonomes - Saint Paul, Saint Pierre ou Sainte Madeleine [10] - qu'il produisit à l'instar de Largillierre, et dans le souvenir des nombreuses têtes de Christ couronné d'épines, animées par ce "divin mouvement des yeux" [11], de Guido Reni, son autre modèle dans le Grand genre [Fig. 4].
Fig. 4 : Guido Reni (1575-1642), Ecce Homo, vers 1640, huile sur toile, H. 0,59 x L. 0,49 m, Paris, musée du Louvre, inv. 528
(c) RMN-GP (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle
Notes
[1] Voir à ce sujet Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), tome I : L'homme et son art, Dijon, Editions Faton, 2016, p. 176, 394-400. Contrairement à ce qu'indique son blog (on sait que les fonctionnalités de tels outils permettent d'antidater et de changer à tout moment la date d'une publication), l'article de Stephan Perreau "Chroniques des ventes 2016 (troisième partie) (URL : http://hyacinthe-rigaud.over-blog.com/2017/03/hyacinthe-rigaud-chroniques-des-ventes-2016-troisieme-partie.) a été, de fait, rédigé postérieurement au nôtre, soit exactement le 19 mars 2017, comme en atteste l'alerte reçue par ses abonnés ce jour-là, avant que l'auteur ne substitue, après la publication de notre article le 18 mars, la date du 17 mars à celle du 19 mars 2017.
[2] Voir les numéros NP.2, NP.3, NP.4, NP.5, NP.6, *NP.7, NP.8, NP.9, NP.10, NP.11 et NP.12 dans Ariane James-Sarazin, op. cit., tome II : Le catalogue raisonné, p. 573-579.
[3] Ariane James-Sarazin, ibid., tome I : L'homme et son art, p. 394-400 et tome II : Le catalogue raisonné, p. 575. Voir également Ariane James-Sarazin, "Hyacinthe Rigaud et l'Italie", La Peinture baroque en Méditerranée, de Gênes à Majorque, actes des journées d'études de Perpignan, 4-5-6 avril 2006 "La diffusion de la peinture baroque de Gênes à Majorque" rassemblés par Julien Lugand, Perpignan, 2010, p. 107-127.
[4] Huile sur toile, H. 0,97 x L. 0,65, datée : 1695, France, Perpignan, musée Rigaud, inv. 893.2.1. ; voir Ariane James-Sarazin, ibid., tome II : Le catalogue raisonné, n° NP.4, repr. p. 575.
[5] Huile sur toile, H. 0,95 x L. 0,61 m, inscription au dos de la toile : fait par Hy. Rigaud, 1696, France, Perpignan, musée Rigaud, inv. 833.12.1. ; voir Ariane James-Sarazin, ibid., tome II : Le catalogue raisonné, n° NP.5, repr. p. 575.
[6] Voir note 3.
[7] Hyacinthe Collin de Vermont, "Essai sur la vie et les ouvrages de M. Rigaud, ...", Mercure de France, novembre 1744, vol. II, p. 6-10 : voir Ariane James-Sarazin, op. cit., tome II : Le catalogue raisonné, n° NPM.12, p. 586.
[8] Lot 11 du catalogue de la vente de Claude Drevet en 1782 ; voir Ariane James-Sarazin, op. cit.,
tome II : Le catalogue raisonné, n° NPM.15, p. 587.
[9] Voir Ariane James-Sarazin, ibid., tome II : Le catalogue raisonné, n° NPM.17, p. 587.
[10] Voir Ariane James-Sarazin, ibid., tome II : Le catalogue raisonné, n° *NP.7, p. 576, n° NP.8, p. 576-577, repr. p. 576 et n° NP.9, repr. p. 577.
[11] Nous renvoyons à l'excellent article de Philippe Malgouyres sur Guido Reni, auquel nous empruntons cette expression due à Bernardo De Domenici en 1745, dans le catalogue de l'exposition La Fabrique des saintes images. Rome-Paris 1580-1660, p. 122-125.
Pour citer cet article
Référence électronique
Ariane James-Sarazin, "Un Christ couronné d'épines par Hyacinthe Rigaud", Hyacinthe Rigaud (1659-1743). L'homme et son art - Le catalogue raisonné, Editions Faton, [en ligne], 18 mars 2017, URL : http://www.hyacinthe-rigaud.fr/single-post/2017/03/18/Un-Christ-par-Hyacinthe-Rigaud