Le portrait retrouvé du chevalier de Frenelle
Catalogue concerné : I. Catalogue des portraits peints / Portraits d'attribution certaine
Période : Cinquième période (de 1709/1710 à 1719/1720)
Numéro déjà catalogué : P.1287 (page 428) Nature de la mise à jour : publication du prototype d'un portrait déjà catalogué, mais non localisé et éléments d'analyse supplémentaires relatifs au format
Fig. 1 : Hyacinthe Rigaud et atelier, Portrait de François Asselin, chevalier de Frenelle, 1715, collection particulière
(c) droits réservés / Ariane James-Sarazin
PUBLICATION du PROTOTYPE d'un PORTRAIT déjà CATALOGUÉ, mais NON LOCALISÉ
Ht. H. 0,79 ; L. 0,63 m.
Collection particulière
Hist. : Inscrit dans les livres de comptes de l'artiste et commandé en 1715 par le modèle pour 250 livres, soit un buste ; château de Manneville-Le-Thil, près de Dieppe, octobre 1846 (?) ; coll. Pouyer-Quertier, Rouen, 1878 (?) ; coll. Gaston Le Breton, Rouen, 1919 ; collection particulière.
Exp. : Paris, 1878, n° 726 (?)
En préambule à cet article, nous tenons à exprimer toute notre reconnaissance et nos remerciements au propriétaire et au cabinet Turquin qui nous ont permis de publier et d'analyser ce portrait inédit dont on avait perdu la trace depuis le début du XXe siècle.
Cet officier supérieur des armées du roi n'est autre que François Asselin (1678-1751), chevalier de Frenelle, qui appartenait à une vieille famille de Normandie et dont l’aïeul, Philippe, conseiller au parlement de Rouen en 1618, fut anobli par sa charge.
Or un "chevalier de Frenelle" apparaît bien en 1715 dans les livres de comptes de Hyacinthe Rigaud pour la somme de 250 livres [1], ce qui correspond alors dans l’échelle des prix pratiqués par l’artiste à une composition en buste, comme nous le confirment d’ailleurs les mentions relatives aux deux répliques qui en furent tirées la même année par son collaborateur Charles Sevin de La Penaye (1685-1740) : "deux coppies du buste du chevalier de Frenelle".
Une version du portrait du chevalier fut repérée en octobre 1846 par l’abbé Cochet au château de Manneville-Le-Thil, près de Dieppe, avant la vente de celui-ci et la dispersion de ses collections, mais la description qui en est faite dans le Bulletin de la Commission des antiquités de la Seine-Inférieure [2] ("François Asselin, chevalier de Fresnelle, mort en janvier 1751, âgé de 73 ans. Peint à 42 ans [sic], par Hyacinthe Rigaud, 1715") ne permet plus désormais d’affirmer formellement, en l’absence d’indication sur le format de la toile (rectangulaire ou ovale), s’il doit être ou pas confondu avec le tableau réputé de format ovale (H. 0,79 x L. 0,63 m), propriété de M. Pouyer-Quertier à Rouen en 1878, puis d’après Joseph Roman [3] de M. Gaston Le Breton à Rouen en 1919, qui fut exposé lors de l’Exposition universelle de 1878 sous le numéro 726 et décrit en ces termes : "François Asselin, chevalier, sire de Frenelles, toile, de forme ovale [c'est nous qui soulignons] H. 0,79 x L. 0,63. Par Rigaud (Hyacinthe) […] En buste, tête nue, à perruque ; regard tourné vers l’épaule gauche ; cuirasse sur laquelle passe une draperie violette. Fig. grand. nat. Photographié au charbon, par M. Braun. A M. Pouyer-Quertier, à Rouen" [4], et ce d’autant plus que nous n’avons pu retrouver, en dépit de nos recherches en ce sens, la photographie de Braun.
Si la description donnée par Henry Jouin correspond parfaitement au tableau aujourd'hui en collection particulière, ainsi que l’âge du modèle (37 ans et non 42 ans comme indiqué par l’abbé Cochet), le format diverge, étant entendu que celui de notre tableau, plus ample que celui, présumé, de la version exposée en 1878, répondrait mieux à ce que le modèle était en droit d’attendre d’un original que d’une réplique, souvent réduite dans ses ambitions (les deux répliques que mentionnent les livres de comptes furent négociées à 75 livres l’unité, soit près du tiers de la somme exigée pour le prototype). Notons enfin qu’en cette fin du règne de Louis XIV, Rigaud tend à délaisser l’ovale, auquel il eut davantage recours pour ses bustes dans les années 1680-1700, au profit du format rectangulaire. Cependant, dans la mesure où notre tableau proviendrait de la collection Le Breton et ne présente pas de traces visibles d’un agrandissement ultérieur, deux hypothèses s’imposent à nous : soit une erreur se serait glissée dans la notice d’Henry Jouin, soit Joseph Roman aurait abusivement assimilé le tableau de M. Pouyer-Quertier à celui de M. Le Breton.
Quoi qu'il en soit, attitude, vêture et composition générale appartiennent sans contestation possible au vocabulaire distinctif de Hyacinthe Rigaud.
On rapprochera ainsi la pose, buste de profil et tête tournée vers le spectateur, avec un seul bras visible jusqu’au coude, ainsi que la mise, armure complète, festons de velours, cravate et manteau jeté sur la cuirasse, de nombre de portraits de militaires de la décennie 1710 et notamment de nos P.1136 (le comte de Beauvau, 1711), P.1240 (Nicolo Durazzo, 1712), P.1259 (Fouquet de Belle-Isle, 1713-1714) [Fig. 2], P.1263 (le comte du Luc, 1713), P.1308 (Charles XII de Suède, 1715), P. 1324 (le baron de Sparre, 1717) ou encore *PS.9 (Officier supérieur inconnu, vers 1715) [Fig. 3].
La cravate qui enserre le cou du chevalier de Frenelle rappelle, par exemple, celle de Fouquet de Belle-Isle (notre P.1259, 1713-1714) que l’on retrouve dans le petit répertoire d’accessoires de Rouen (notre E.2, vers 1715-1725) [Fig. 4], même si, dans le cas présent, elle s’agrémente de délicates dentelles [Fig. 5]. Quoi qu'un peu basse pour l’époque, mais encore très abondante, la perruque du chevalier, d’un aspect très naturel, peut être utilement comparée à celles du duc d’Albret (notre *P.845, 1703-1705) [Fig. 6], du comte d’Evreux (nos P.823, 1702-1704 et *P.917, 1705) [Fig. 7], de Labadie d’Aumay (notre P.954, 1706) et de Fouquet de Belle-Isle déjà cité.
Fig. 2 : Hyacinthe Rigaud et atelier, Portrait de Charles Louis Auguste Fouquet de Belle-Isle, 1713-1714 et retouché vers 1741-1742, Manom, château de La Grange, collection particulière
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Fig. 3 : Atelier de Hyacinthe Rigaud, Portrait d'officier supérieur inconnu, vers 1715, collection particulière
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Fig. 4 : Hyacinthe Rigaud, Etude de mains, d'une cravate, d'un motif de cuirasse, d'objets, d'accotoir et de fleurs, vers 1715-1725, Rouen, musée des Beaux-Arts
(c) Rouen, musée des Beaux-Arts, photo : agence la bellevie / C. Lancien / C. Loisel
Fig. 5 : Hyacinthe Rigaud et atelier, Portrait de François Asselin, chevalier de Frenelle (détail), 1715, collection particulière
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Fig. 6 : Atelier de Hyacinthe Rigaud, Portrait d'Emmanuel Théodose de La Tour d'Auvergne, duc d'Albret, après 1705, collection particulière
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Fig. 7 : Hyacinthe Rigaud et atelier, Portrait d'Henri Louis de La Tour d'Auvergne, comte d'Evreux, 1702-1704, Kassel, Staatliche Museen, Gemäldegalerie Alte Meister, inv. GK 1148
(c) Kassel, Staatliche Museen, Gemäldegalerie Alte Meister
Notre tableau partage enfin avec le portrait d’Erik Axelsson Sparre de Sundby peint en 1717 et aujourd’hui en collection particulière (notre P.1324) [Fig. 8] sa belle harmonie colorée, chaude et vibrante, avec cet effet de velours grenat capiteux, très caractéristique. Le rendu du visage et de la perruque [Fig. 9] présente ce modelé, à la fois ferme et moelleux, précis et fondu, qui est la signature de Rigaud, tout comme la petite humidité qui brille, ici, au ras des deux yeux [Fig. 10]. Le traitement de l’armure, notamment au niveau de la jonction du brassard et du plastron, ainsi que du revers du manteau pourrait révéler soit une intervention de l’atelier, habituelle dans ce que les livres de comptes appellent de façon générique « l’habillement » (ceux-ci ne précisent pas si cet habillement fut créé spécialement pour le chevalier de Frenelle ou si, comme tend à le suggérer le prix de 250 livres, il s’inspirerait d’un modèle antérieur), soit une reprise ultérieure. Un examen de visu, complémentaire, nous permettra très prochainement d'en dire plus sur ce beau portrait qui présente, en outre, quelques intéressants repentirs.
Fig. 8 : Hyacinthe Rigaud et atelier, Portrait d'Erik Axelsson Sparre de Sundby, 1717, collection particulière
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Fig. 9 : Hyacinthe Rigaud et atelier, Portrait de François Asselin, chevalier de Frenelle (détail), 1715, collection particulière
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Fig. 10 : Hyacinthe Rigaud et atelier, Portrait de François Asselin, chevalier de Frenelle (détail), 1715, collection particulière
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Notes
[1] Voir sur cette commande, ainsi que sur la biographie du modèle, Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), tome II : Le catalogue raisonné, Dijon, Editions Faton, 2016, n° P.1287, p. 428.
[2] Tome I, 1868, p. 196.
[3] Joseph Roman, Le Livre de raison du peintre Hyacinthe Rigaud, Paris, 1919, p. 175 et 284.
[4] Henry Jouin, Notice des peintures, sculptures, tapisseries, miniatures, émaux, dessins, etc. exposés dans les galeries des portraits nationaux au palais du Trocadéro, Paris, Imprimerie nationale, 1879, p. 154.
Pour citer cet article
Référence électronique
Ariane James-Sarazin, "Le portrait retrouvé du chevalier de Frenelle", Hyacinthe Rigaud (1659-1743). L'homme et son art - Le catalogue raisonné, Editions Faton, [en ligne], 29 juillet 2017, URL : http://www.hyacinthe-rigaud.fr/single-post/2017/07/29/Le-portrait-retrouvé-du-chevalier-de-Frenelle