Une théorie d'ecclésiastiques d'après ou à la manière de Hyacinthe Rigaud
Tomes concernés : Tome I et Tome II
Parties concernées : pour le tome I, Conclusion (pages 512-526) ; pour le tome II, Catalogue des portraits peints / Portraits d'attribution certaine
Nature de la mise à jour : pour le tome I, Influence du vocabulaire de Rigaud sur ses contemporains ; pour le tome II, ajout de répliques et/ou de copies
Après Antoine Sicault [1], c'est au tour de trois autres effigies épiscopales de l'Eglise de France de nous rappeler combien Hyacinthe Rigaud fut le portraitiste de prédilection du Premier ordre de la société d'Ancien régime. Toutes trois proposent une composition en buste canonique, dans la mesure où le maître l'applique de façon quasi systématique, lorsqu'il a à représenter un prélat, et ce quelle que soit la période d'exécution, de la décennie 1690 aux derniers éclats de sa carrière : le modèle y est vu de trois quarts vers la droite, le visage tourné vers le spectateur, sobrement vêtu d'un camail de soie que ponctue le rouge, tirant avec le temps vers un rose tendre, d'un revers, d'une couture ou d'une boutonnière.
Commençons par Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704) dont Baron Ribeyre et associés proposeront le 22 novembre 2017 davantage une copie qu'une réplique [2] (Fig. 1) - il est difficile néanmoins d'avoir un avis tranché tant les versions en sont nombreuses : rappelons que les livres de comptes de l'artiste ne mentionnent pas moins d'une dizaine de répliques, au moins quatorze selon nous, exécutées par l'atelier -, dans le même sens que l'original, du premier portrait de Bossuet que le Grand duc de Toscane, Côme III, commanda à Rigaud en 1698 [3] (Fig. 2). Si la position à plat - et de ce fait plus visible - de la croix pectorale semble plus proche de l'interprétation qu'en donna, par exemple, Isaac Sarrabat dans sa gravure en manière noire de 1699 que de la peinture des Offices, et le rendu du camail et du rochet assez fruste, on remarquera que l'auteur de la version Baron Ribeyre n'a pas omis les petites humeurs et lueurs blanches qui confèrent au regard des modèles de Rigaud une grande vivacité (Fig. 3).
Fig. 1 : Anonyme d'après Hyacinthe Rigaud, Portrait de Jacques Bénigne Bossuet, évêque de Meaux, après 1698, collection particulière
(c) Baron Ribeyre et associés
Fig. 2: Hyacinthe Rigaud, Portrait de Jacques Bénigne Bossuet, évêque de Meaux, 1698, Florence, musée des Offices, inv. 1890 n° 995
(c) Ariane James-Sarazin / droits réservés
Fig. 3: à gauche, Hyacinthe Rigaud (musée des Offices) ; à droite, anonyme d'après Hyacinthe Rigaud (vente Baron Ribeyre et associés)
(c) Ariane James-Sarazin / droits réservés
Passons à René François Beauvau du Rivau (1664-1739), dont la mémoire collective contemporaine a certainement moins conservé le souvenir que celui de l'aigle de Meaux : docteur de Sorbonne en 1694, René François fut nommé évêque de Bayonne en novembre 1700, puis transféré à Tournai en avril 1707, siège qu’il dut abandonner en 1709 après la défaite des armées françaises par les Impériaux. Il se retira à Paris et le 29 juillet 1713, il fut transféré à Toulouse, siège archiépiscopal vacant depuis la mort de Colbert de Saint-Pouange (1710). En 1719, il fut nommé archevêque de Narbonne. Adversaire farouche des jansénistes et partisan de la Bulle Unigenitus, il cultiva son goût pour les Lettres et protégea les érudits Dom de Vic et Dom Vaissette, historiens du Languedoc. Monseigneur Beauvau du Rivau posa devant Rigaud en 1715 [4], alors qu’il exerçait les fonctions d’archevêque de Toulouse. Les 1 000 livres exigées en paiement correspondent à un type de composition nouveau, mais appelé à une belle fortune dans l’œuvre du maître, que Rigaud prêtera par exemple, la même année, au cardinal de Polignac. Nous avons proposé en 2016 d'identifier l'original du portrait de Monseigneur Beauvau du Rivau avec une très belle version, hélas en triste état, conservée au musée d'Allard à Montbrison (Fig. 4), que Gilles Chomer avait signalée en 2000 comme étant une réplique. Loin des fastes de cette composition impressionnante, jusqu'aux genoux, la maison de vente Primardeco proposera le 24 novembre 2017 un buste d'apparence modeste, mais en réalité fort intéressant [5] (Fig. 5) et pour lequel une restauration permettrait sans doute de mieux évaluer la qualité du visage et du rabat, qui nous semblent non dénués de mérite. On ne sait si Rigaud fit réaliser par son atelier une version réduite au buste et en camail de soie, en lieu et place de l'hermine, de son portrait de Monseigneur de Beauvau du Rivau, dont le tableau de la vente Primardeco aurait pu s'inspirer, mais l'hypothèse mérite d'être posée, au même titre que celle d'une adaptation, par un artiste extérieur à l'atelier, du grand portrait de 1715, auquel cet artiste aurait prêté une vêture cent fois répétée par Rigaud et largement diffusée par le biais de la gravure. On rapprochera ainsi le ton général de cette version en buste, et plus particulièrement le revers de la mosette, du portrait d'ecclésiastique anonyme du musée des Beaux-Arts de Carcassonne [6] ou de celui d'Alexandre Milon, évêque de Valence [7] (Fig. 6).
Fig. 4 : Hyacinthe Rigaud, Portrait de René François Beauvau du Rivau, archevêque de Toulouse, 1715, Montbrison, musée d'Allard, inv. 2013.06.01.
(c) Ariane James-Sarazin / droits réservés
Fig. 5a : Anonyme d'après Hyacinthe Rigaud, Portrait de René François Beauvau du Rivau, archevêque de Toulouse, après 1715, collection particulière
(c) Primardeco
Fig. 5b : Anonyme d'après Hyacinthe Rigaud, Portrait de René François Beauvau du Rivau, archevêque de Toulouse (détail), après 1715, collection particulière
(c) Primardeco
Fig. 6 : Hyacinthe Rigaud, Portrait d'Alexandre Milon, évêque de Valence, 1735, Valence, musée des Beaux-Arts, inv. P.21
(c) Ariane James-Sarazin / droits réservés
Nous terminerons cette rapide évocation des portraits d'ecclésiastiques d'après ou à la manière de Rigaud par Gabriel Florent de Choiseul-Beaupré (Dinant, 1685-Mende, 1767), qui, après avoir officié à Saint-Papoul de 1718 à 1723, monta sur le siège épiscopal de Mende où il demeura jusqu'à sa mort le 7 juillet 1767, avec le titre de comte de Gévaudan. Surtout connu pour avoir été le témoin, bien malgré lui, de la fameuse affaire de la Bête du Gévaudan qui fut officiellement tuée le 19 juin 1767, quelques jours avant que le prélat ne s'éteigne, Monseigneur de Choiseul-Beaupré n'apparaît pas dans les livres de comptes de Rigaud. On en est donc réduit aux conjectures face au portrait qui passera en vente chez Jean Havin le 26 novembre prochain [8] (Fig. 7) et qui se plie à une ordonnance en tout point rigaldienne, avec le petit soulèvement du camail qui laisse voir la doublure rouge, à l'instar de nombreuses effigies cléricales du maître [9]. On ne sait pas, là non plus, si l'auteur anonyme de cette toile s'est inspiré d'un portrait de Monseigneur Choiseul par Rigaud et/ou son atelier, qui aurait pu le peindre, par exemple, en 1723 à l'occasion de sa nomination à Mende, ou s'il l'a composée de lui-même en puisant dans les stéréotypes d'attitudes et de vêtures propres à Rigaud...
Fig. 7a : Anonyme du XVIIIe siècle (d'après Rigaud ?), Portrait de Gabriel Florent de Choiseul-Beaupré, vers 1723 ?, collection particulière
(c) Maison de ventes Jean Havin
Fig. 7b : Anonyme du XVIIIe siècle (d'après Rigaud ?), Portrait de Gabriel Florent de Choiseul-Beaupré (détail), vers 1723 ?, collection particulière
(c) Maison de ventes Jean Havin
Fig. 7b : Anonyme du XVIIIe siècle (d'après Rigaud ?), Portrait de Gabriel Florent de Choiseul-Beaupré (détail), vers 1723 ?, collection particulière
(c) Maison de ventes Jean Havin
Notes
[1] Voir sur ce site notre article publié le 11 novembre 2017 : http://www.hyacinthe-rigaud.fr/single-post/2017/11/11/Antoine-Sicault-un-évêque-à-la-mode-de-Hyacinthe-Rigaud.
[2] Vente Paris, Drouot, Baron Ribeyre et associés, 22 novembre 2017, huile sur toile marouflée sur panneau, H. 0,74 x L. 0,59 m, lot 41, repr. (Ecole française du XVIIIe siècle, suiveur de Hyacinthe Rigaud), provenance : collection Vel-Durand, avant 1914 ; collection Gaston Bétrancourt.
[3] Voir Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), tome II : Le catalogue raisonné, Dijon, Editions Faton, 2016, n° P.557, p. 190-192.
[4] Ibid., n° P.1301, p. 433-434.
[5] Vente Toulouse, Primardeco Jérôme de Colonges / Ivoire Toulouse, 24 novembre 2017, huile sur toile, H. 0,805 x L. 0,645 m, lot 95, repr. (Ecole française du début du XVIIIe siècle d'après Hyacinthe Rigaud).
[6] Voir Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), tome II : Le catalogue raisonné, Dijon, Editions Faton, 2016, n° P.1345, p. 458.
[7] Ibid., n° P.1483, p. 522-523 ; voir également pour le même effet de revers le portrait de Monseigneur de Cossé-Brissac, évêque de Condom, n° P.1486, p. 524.
[8] Vente Argent-sur-Sauldre, Jean Havin, 26 novembre 2017, huile sur toile, H. 0,73 x L. 0,56 m, inscription en haut et au centre de la toile : GABRIEL FLORENT DE CHOISEUL // EVEQUE DE MENDE, lot 83, repr. (Ecole française vers 1740, suiveur de Hyacinthe Rigaud).
[9] Voir Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), tome II : Le catalogue raisonné, Dijon, Editions Faton, 2016, n° *P.397 ou n° *P.511 pour les premiers jalons.
Pour citer cet article
Référence électronique
Ariane James-Sarazin, "Une théorie d'ecclésiastiques d'après ou à la manière de Hyacinthe Rigaud", Hyacinthe Rigaud (1659-1743). L'homme et son art - Le catalogue raisonné, Editions Faton, [en ligne], 20 novembre 2017, URL : http://www.hyacinthe-rigaud.fr/single-post/2017/11/20/Une-theorie-decclesiastiques-dapres-ou-a-la-maniere-de-Hyacinthe-Rigaud